95… Mais se préparer à ce monde incertain ne signifie pas se résigner…
L’incertitude stimule parce qu’elle appelle le pari et la stratégie.
Edgar Morin

Comment vivre en temps de crise ?

le .

Les ondes du séisme financier de 2008 continuent à se propager. Comment vivre cet au-delà de la crise ? Voilà la question qui taraude philosophes, économistes et sociologues.

« La crise, et après ? Deux ans après le krach financier de septembre 2008, l’heure n’est plus au pourquoi ni au comment on en est arrivé là. Voici venu le temps du bilan, entre décompte des effets politiques et sociaux de la crise, et inventaire des possibilités inédites qu’elle ouvre. Car pour les philosophes, ce glissement décisif de la crise à l’après-crise est du pain bénit : si le pire reste possible et même probable, tous veulent croire à l’opportunité unique de construire un système radicalement nouveau, et prêtent l’oreille au moteur de l’histoire en marche sous les décombres fumants du néolibéralisme.

« Repensons à la métaphore de Hegel, de la vieille taupe qui creuse souterrainement ses galeries et, un jour refait surface », propose ainsi Edgar Morin dans Comment vivre en temps de crise ?, citant cette formule de Hölderlin : « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve. » Inutile, pourtant, d’espérer récolter passivement les fruits de la crise : plus qu’un virage économique, un grand tournant anthropologique se dessine. Il s’agit de ne pas le manquer. Patrick Viveret évoque un « rendez-vous critique de l’humanité avec elle-même », occasion d’en finir avec la « démesure » et le « mal-être », ce couple infernal qui caractérise la crise.

Entre la catastrophe et la refondation, nos sociétés sont à la croisée des chemins. Seule certitude : le retour à la situation antérieure est impossible. La crise signe la fin d’un monde et en inaugure un autre, reconfiguré par la bataille qui, selon Hervé Juvin, fait actuellement rage entre l’économie et la société, entre le système et ses acteurs. Dans le Renversement du monde, cet économiste renvoie dos à dos les « gentils » défenseurs des grands principes universels et les « méchants » artisans de la mondialisation, en concluant que « la guerre des peuples, des nations et des civilisations contre l’individualisme universaliste et l’utopie sans-frontiériste est la guerre du présent ». Dans Après la crise, le sociologue Alain Touraine, lui, nous redonne une lueur d’espoir. A l’exemple du peintre Pierre Soulages, qui a dû « traverser le mur du noir » pour découvrir la lumière si particulière de l’outre-noir, il nous pousse à inventer un monde au-delà du noir de la crise, célébrant dans chaque individu l’avènement du sujet, ce « regard créateur de sens, face au non-sens qu’imposent les crises, le chômage, le totalitarisme ou le terrorisme ». Comme s’il suffisait de voir au-delà de la crise pour passer outre… »

Mathilde LEQUIN in Philosophie Magazine

Du côté de la Grèce...

le .

11 avril 2014

« Je voyais ça comme un cauchemar, comme la pire des choses qui puisse m’arriver.” C’est ce que Kostas pensait de la vie à la campagne il y a encore quelques années. Cet enfant de la ville se voyait davantage en train de débattre du futur de la peinture moderne dans une galerie d’art plutôt qu’à la taverne du village à discuter du prix des engrais. Et pourtant, voilà près de deux ans maintenant qu’il a décidé, pour ses 45 ans, de tout changer. Son travail, son domicile – et, surtout, de quitter Athènes. “Dans le secteur de la publicité, où je travaillais, les budgets ont été divisés par trois. Aujourd’hui, je ne roule pas sur l’or, mais je vois les choses venir, tranquillement.” Depuis deux ans, Kostas est à la tête d’une petite exploitation agricole de plantes aromatiques à Fthiotida, dans le centre du pays. Pour cela, il a suivi une formation, il a appris à travailler la terre, à s’occuper des plantes et à surveiller les bulletins météo des journaux télévisés. Kostas n’est pas un cas isolé. Les emplois dans l’agriculture ont augmenté de 7 % en Grèce entre 2008 et 2009, selon un récent sondage réalisé en Europe par l’organisme Paseges pour le développement de la main-d’œuvre agricole. Cela signifie concrètement que 38 000 Grecs ont décidé d’une manière ou d’une autre de se consacrer à la production agricole et de changer de mode de vie. Des dizaines d’e-mails de ces “nouveaux agriculteurs” arrivent chaque jour dans les bureaux de cet organisme. Leurs questions sont souvent les mêmes : ils veulent apprendre comment on plante, sème, récolte… Et surtout quoi. Avec la crise économique qui s’installe durablement dans le pays, ces demandes se multiplient. Si l’on en croit les statistiques, cette décision n’est pas prise à la légère ; la tendance concerne surtout des personnes d’âge mur (dans la catégorie des 45-64 ans) et surtout dans l’ouest du pays et en Thessalie [nord-est de la Grèce]. Pour les analystes, c’est un cas d’école, la mobilité étant le propre des moins de 40 ans. Mais la plupart de ces nouveaux agriculteurs ne voient pas d’avenir dans leur carrière actuelle ; ils cherchent un complément de revenus ou veulent améliorer leur retraite… »

Tania Giorgopoulou I Kathimerini (Le Quotidien) Athènes

Esthétique du métier de paysan

le .

En cette période de crise nous avons absolument besoin de l’empathie de la société civile à l’égard du monde paysan.

Encore que l’agriculteur bénéficie d’un capital sympathie élevé quand des accusations sur la qualité des produits ou les pratiques de production visent plutôt l’amont et l’aval du secteur.

Restons donc très vigilants sur l’image que nous projetons ou celle que l’on nous fait porter Quelques idées basiques en circulation ou positions journalistiques d’opportunité à l’apparence anodines pourraient se révéler assassines si l’on n’y prend garde…

- Les producteurs se diversifiant dans les productions « de qualité » ou mettant en marché en circuit court semblent tirer leur épingle du jeu ; donc pourquoi les autres n’en font ils pas autant ?

- Pourquoi les agriculteurs français ne sont ils pas compétitifs ? Cela est fort dommage mais ça fonctionne ainsi dans les autres secteurs de l’économie…

- Les agriculteurs sont des passionnés de la terre et de leur métier … un peu comme des artistes … La rémunération de leur activité ne s’envisage pas avec les mêmes critères que tout le monde ; de plus, ils peuvent produire leur nourriture…

Moi qui écris ces mots et vous qui les lisez savons à quoi nous en tenir et balayer ces argumentations, mais 95% des gens mis en contact n’ont pas les codes et la culture pour dénouer le vrai du faux…

Alors intégrons la pratique d’une pédagogie adaptée et d’une communication habile pour installer à sa juste place une image du paysan qui permette de le rémunérer à sa juste valeur.

La sortie de crise

le .

Contrairement à certains discours les sorties de crise se font sur des décisions politiques que l’on a le courage et la volonté de prendre.

Nous sortirons de cette crise car l’on sort toujours des crises… reste à savoir comment.

Serons-nous sur un champ de ruines ? Ou un paysage pacifié en attente de la prochaine déflagration ; quelqu’un d’autre se chargera alors de poser des rustines. Ainsi de suite, jusqu'à… ?

Il n’empêche que cela se passera dans un monde globalisé où la règle est le libre échange avec ses conséquences bonnes et mauvaises.

Cela est jugé bon, cela est jugé mauvais, mais cela est… et va demeurer.

De plus, il se trouvera toujours une crise diplomatique ou climatique pour perturber les règles du système ; en effet l’agriculture est une activité à raisonner sur le temps long et l’on veut l’insérer dans un monde qui ne connait que les secousses de l’immédiateté.

Il faudra bien un jour résoudre cette équation, faute de quoi les crises seront toujours dévastatrices pour la vie des territoires ruraux.

Ce qui fait cruellement défaut à la ruralité et à l’agriculture, son fer de lance, c’est une perspective réelle sur du temps long. Au sortir de la guerre, la société confia aux agriculteurs la mission de nourrir les gens : objectif clair, avec le temps, les outils législatifs et financiers, ainsi que la protection nécessaire. La réussite fut totale.

Il nous manque cette perspective claire qui permette de se projeter ; à des parents d’encourager leurs enfants, à des jeunes d’entrevoir les contours de leur futur métier, aux enseignants de se spécialiser pour impulser des savoirs utiles et efficaces.

Nous devrions avoir à choisir entre trois visions du métier : l’agriculture « d’entreprise » qui gère des capitaux, les rentabilise… l’agriculture « d’artisan de la terre » qui repose sur la médiation entre l’économie et la biologie et l’agriculture « d’entretien de l’espace rural »…

E. Morin - P. Viveret

le .

Edgard Morin

Sociologue, directeur de recherche au CNRS, E. Morin est l’homme de la pensée complexe. A 94 ans, il reste un homme engagé, notament au sein du Collegium international éthique et scientifique qui tente d’apporter des réponses à l’échelle mondiale aux nouveaux défis de notre temps.

Patrick Viveret

Philosophe et ancien conseiller référendaire à la Cour des Comptes ; il aime se présenter comme un passeur cueilleur et affirme volontiers qu’il faut accepter de ne pas tout vivre et rester en situation de surprise. Il participe avec E. Morin, à la Fondation du Collectif Roosevelt 2012 qui propose une analyse des causes de la crise du système et des réformes économiques, sociales.

« … Il est toujours important d’avoir à l’esprit que même lorsque les éléments de probabilité sont inscrits du côté de la catastrophe, l’improbable peut aussi survenir. Je ne soutiens pas cela pour repeindre la réalité en rose, mais parce que le réel est d’une telle complexité, les assemblages de potentialités créatrices sont tellement multiples, que les configurations qui finissent par se produire dans la réalité peuvent s’avérer hautement improbables. Ce qui compte ce sont les postures de vie individuelles ou collectives qui font en sorte que l’improbable ne nous désarçonne pas, que nous soyons capables de réagir si l’improbable se révèle être du côté du pire, mais aussi que nous sachions l’accueillir et l’utiliser comme une énergie positive s’il est du côté du meilleur… »
Patrick VIVERET