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Le temps quand il arrive à tempsLorsqu’il s’agit de définir le temps, tout l’enjeu est le statut que l’on accorde au présent. Celui qui tente de comprendre le temps à partir du présent ne peut que provoquer son propre étonnement : le passé n’est pas, puisqu’il n’est plus présent ; l’avenir n’est pas, puisqu’il n’est pas encore présent.

Tristan Garcia

Plus nous en gagnons, moins nous en avons

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Pourquoi sommes-nous souvent débordés, en manque de temps, toujours à courir, alors que la technique est censée avoir libéré du temps ?


Voici l’un des grands paradoxes : plus nous gagnons du temps, moins nous en avons. Le calcul illogique interpelle. Où sont alors tous ces gains de temps, ce temps libre soit disant généré par le progrès technologique ? Sans doute que les gains de temps sont absorbés par l’augmentation de la croissance. Voilà le problème : l’homme est si gourmand qu’il veut parcourir, transmettre, produire trois fois plus (de distances, d’informations, de choses) alors que la technique lui permet d’aller seulement deux fois plus vite. Si bien qu’il en vient à avoir moins de temps que son semblable en avait au siècle dernier. La conséquence est un sentiment d’urgence anxiogène, qui pousse à son tour à accélérer la cadence. L’homme est alors toujours à la recherche d’effectuer plus d’actions dans une même unité de temps. Sans doute une course sans fin...


Notre dossier n’a pas l’ambition de traiter toute la problématique du temps.
Problématique universelle d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Nous souhaitons simplement apporter quelques regards différents sur ce qui concerne tout un chacun.

Du Chronos...

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Puisqu’il s’agit de faire céder l’autre, le temps joue toujours contre le sujet. C’est la figure de Chronos qui agite le spectre du retard et de la déception, celui de la perte et du contretemps qui finit par un fiasco. Le présent nous presse, et à attendre tout de lui, il finit par être défaillant. L’absence devient cruelle, non parce que celui sur qui l’on comptait nous manque, mais parce qu’il nous fait défaut. Et lorsque l’autre se présente, il est trop tôt ou trop tard, il tombe mal. D’un malin plaisir il se refuse à être là lorsque l’on a besoin de lui.

Il semble que le mauvais emploi du temps est source d’inquiétude permanente de l’homme au travail. Est-ce à dire que les contrariétés du quotidien nous éloignent de la jouissance pleine et heureuse des heures où nous pourrions faire l’économie du temps ?

La Bruyère constatait déjà le fait dans ses Caractères : « Le regret qu’ont les hommes du mauvais emploi du temps qu’ils ont déjà vécu ne les conduit pas toujours à faire de celui qui leur reste à vivre un meilleur usage ».

Le temps actif superpose tous les usages : l’occupation et la préoccupation, l’activité et la veille, la production et la maintenance. Il faut saisir les opportunités, se centrer sur l’objectif, ne pas outrepasser son rôle, mesurer ses paroles et les occasions se dérobent.

Il n’y a plus une minute à perdre, pas une seconde à soi, mais les réunions et les rendezvous commencent et finissent toujours en retard. Il y a les fameux quarts d’heure régionaux (périgourdin, béarnais…), c’est une tolérance que s’octroie la province pour montrer que le temps des bourgs et des cantons est plus élastique, qu’il dépend encore des clochers, des routes et des intempéries, et ne peut prétendre à la même précision que les horloges numériques des capitales.

Enfin, le temps du monde finit par s’imposer, c’est celui des réseaux et des fuseaux, de la virtualité et de la transmission des données. C’est le temps portable, celui qui nous possède. Nous l’avons créé de toute pièce pour nous maintenir éveillé et il continue son oeuvre pendant notre sommeil.
...

... au Kaïros

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Les grecs nous ont légué la notion de kaïros pour désigner l’à-propos, la grâce de ce qui vient à point – le temps quand il vient à temps. Mais, à chercher l’occasion, le sujet finit toujours par manquer son entreprise. S’il éprouve au contraire, dans sa jouissance d’être et d’exister, un sentiment d’unicité absolue, il lui est aisé d’accueillir favorablement ce qui concourt à son épanouissement. C’est cette unicité absolue que Jankélévitch appelle l’Hapax. Il s’agit de l’unicité absolue de chaque événement en même temps que de l’unicité absolue de chaque individu.

L’entreprise-corps-sujet déploie ainsi son espace et son temps comme un lieu et un moment unique. Elle intègre un présent large, non-chronologique, ouvert (passéprésent- avenir) situé à côté et autour du temps, aussi privilégié et irréversible que le temps médiologique. Ce présent sans limite se définit comme synchronie, c’est-à-dire comme l’ensemble des actes et des événements produits et accomplis par l’ensemble des sujets. C’est cette synchronie qui fait la totalité existentielle et substantielle de l’entreprise, par l’ensemble des actions du désir-sujet-présent qui projette l’entreprise
hors de ses limites et hors de ses frontières au-delà de sa compétence. C’est l’aoriste, le temps indéterminé. Il commence avec la promesse de celui qui arrive et qui invente le passé et l’expérience de l’entreprise en même temps que son avenir. Le dernier arrivé sera présent le lendemain non par contrat et devoir mais par rendez-vous, parce que « la condition du temps est dans le rapport entre humains ou dans l’histoire » (Levinas, Le temps et l’autre)

In « Le Bonheur d’Entreprendre »
Polynôme (Ed. Encre Marine)

Préférer caresser... qu’empoigner

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... Pour être tout à fait juste, au-delà de la rapidité importent encore davantage le tempo, la fluidité, un rapport de convenance entre les différents joueurs – ce kaïros (le moment opportun) que les Grecs ont célébré. Un élément intuitif, un surcroît de grâce obtenu par l’entraînement (mais il n’y suffit pas) qui permet de concrétiser les belles intentions de jeu.

Revenons au monde de la production. Il est loin d’être certain que les accélérations dans la cadence du travail, dans la multiplication des marchandises, soient bénéfiques et souhaitables. Des analystes y voient au contraire une nouvelle forme d’illusion, d’aliénation. De toute manière, il convient de distinguer le domaine de l’économique et celui de la vie sociale, des existences individuelles dans lesquelles il ne s’agit pas d’être efficace, performant à tout prix, la célérité n’étant qu’une des manières possibles de vivre une destinée.

Pour ma part, je préfère caresser qu’empoigner, emprunter sur mon chemin quelques détours avenants que filer droit au but, demeurer au seuil d’un visage, d’un être, avant de l’approcher, passer pour un bêta plutôt que de paraître informé en toutes choses...


Pierre SANSOT – Du bon usage de la lenteur

Je dicte, tu cliques, « Ntique » (NTIC)

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En cinquante ans, l’homo « tranquillus » est devenu homo « machinus ». Le progrès scientifique a provoqué un emballement parfois grisant de la vie moderne. En quelques heures, nous nous déplaçons d’un continent à l’autre, nous réalisons des tâches qui auparavant demandaient plusieurs jours, nous engrangeons de nombreuses activités qui étaient inaccessibles parce qu’inexistantes dans notre environnement proche.


Aujourd’hui, nous pouvons en quelques clics de souris nous connecter au monde entier, trouver une multitude d’informations sur toujours plus de sujets, dialoguer avec nos relations où qu’elles se trouvent sur la planète. Cette dernière révolution technologique a donné naissance à un nouvel homme, l’homo « technologicus communicus ».

Nous sommes passés dans le monde de « l’immédiateté ». Nous multiplions les activités et les contacts en un court laps de temps comme si cela nous faisait nous sentir plus vivants, plus intégrés, plus importants. Cette accélération, plutôt brutale voire vertigineuse à l’échelle de notre univers, nous a demandé et nous demande encore de gros efforts d’adaptation. Les nouvelles technologies nous ont affranchis du rythme structuré d’une journée standard et pour le coup ont désorganisé notre perception du temps. Pensant avoir accès à plus, nous avons surtout pris conscience que nous avions accès
tout de suite. Les temps d’attente forcée sont remplis par les contacts à prendre, les textos à envoyer, là où nous nous posions simplement dans une grande respiration, comme si quelques minutes « vides », sans activité, étaient définitivement du temps perdu ! Observez vos enfants : ils apprennent leurs leçons tout en commentant les « murs » de leurs copains sur FaceBook et en envoyant trois textos à la minute, casque audio vissé sur les oreilles !

En les regardant agir ainsi, je me dis qu’ils sauront, eux, survivre dans cette « désynchronisation du temps humain et du temps technologique » dont nous parle Paul Virilio dans son livre « Penser la vitesse ». Si moi, je ressens parfois ces NTIC comme une dictature technologique, eux se les sont appropriées. Ils sont tombés dedans à la naissance et n’envisagent pas leur monde différemment. Là où nous cherchions des passe-temps, ils inventent le temps multiple, comme s’ils appliquaient à leur cerveau le principe du multitâche et du temps partagé indispensables au fonctionnement des ordinateurs. Je crois qu’ils permettront par là-même à l’homme de demain de garder la maîtrise de sa vie. Quant à moi, j’aurai peut être déjà appuyé sur « Pause ».

De la valeur du temps au temps

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Dans nos sociétés modernes, l 'essentiel de l 'activité économique est réalisée par les services ; c'est-à-dire que les gens consacrent du temps et de l 'énergie à la satisfaction de leurs congénères et reçoivent en retour une rétribution.

Se pose alors le problème de la valeur des choses et de l’instauration d’un barème permettant l’échange.
La tendance simpliste suppose que l’on multiplie des unités de temps (jour ou heure) par un prix unitaire. Ce parti-pris ne peut suffire à expliquer la complexité de la valeur du métier de prestataire.
Le temps consacré à une prestation de services n’est pas un temps linéaire ; examinons les différentes variantes que nous pouvons décliner.

Le temps de production

Appelons-le « temps neutre ».
Il est plutôt linéaire, facile à normer, des moyennes références sont établies ; c’est un ensemble assez simple à quantifier et à répercuter avec une justification plausible. L’estimation à priori et le contrôle à postériori sont possibles et significatifs.

Le temps d’approche, de mise en relation

Le projet implique d’autres engagements, une ouverture différente. Il suppose une dimension relationnelle importante, fragile, qui ne peut
que se construire. Il faut bien discuter, apprendre à se connaître, se jauger.
Il faut donner au temps l’espace nécessaire à l’installation d’un climat.
Si l’on parle de facturer ce temps, personne n’est d’accord ! Comme si la connivence et l’empathie allaient de soi ! Bien sûr qu’il est difficile de s’entendre sur un temps facturé servant à nourrir l’estime et la confiance
réciproques... Et plus le service se veut de qualité, plus ce temps doit être installé, institué et respecté !

Le temps d’expertise

C’est le temps nécessaire à étoffer un dossier, à lui donner toute sa dimension.
D’abord bien poser le problème ; règle d’or : éviter les analogies simplificatrices et les transpositions. Ensuite effectuer les recherches techniques relatives au sujet. Jusqu’où doit-on creuser ?

Le temps intense

Si cela était possible ce serait l’unique instant digne d’être acheté et facturé.
C’est le temps le plus riche de l’innovation et la création dans un espace où informations, et connaissances s’échangent par une communication qui passe au mieux !
Durant cette phase les idées pullulent, s’agglomèrent, s’hybrident, se détruisent et s’inter fécondent. Jusqu’au moment où quelques unes d’entre elles aboutissent à une construction nouvelle. Les partenaires vivent là un instant émotionnellement fort, procurant un sentiment d’aboutissement.