PA100Sur la photo, plusieurs générations. La famille Aguerre à Juxue. Il y a 60 ans la vie a repris dans le petit vallon. Défrichement, développement, modernisation, sérénité, sagesse, humilité, accueil... Voici quelques valeurs partagées dans ce beau coin du Pays !

L'agriculture, symbole de l'altérité à retrouver

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« La distinction est apparemment simple : le sol renvoie à la nature, la civilisation à la culture. Sauf que dans l'histoire de l’humanité, le sol a toujours été aussi une culture et finalement une civilisation.

Et le paradoxe est que le XXe siècle sera le grand retour de la civilisation du sol et de toutes les cultures qui y sont liées, par opposition au modèle urbain du XXe siècle. Non seulement parce que le déséquilibre ville - campagne étant disproportionné, il faudra bien le rééquilibrer au profit des campagnes, mais aussi parce que la population de 8 à 10 milliards obligera à revaloriser dans un monde ouvert et tout petit l’importance de l’agriculture, et de la nature comme dimension économique, anthropologique et culturelle. C'est cela le grand renversement anthropologique : la question du sol, de l’agriculture, de la nature, est la nouvelle frontière de la civilisation technique des systèmes d’information triomphants.

… Ce qu’il reste de paysans est accusé, en outre, au nom des valeurs écologiques dominantes de « détruire » la nature et d’être les rois de la pollution. La stratégie du soupçon s’impose. Le monde agricole considéré comme responsable et acteur de la destruction de la nature, est mis en cause par les vigilants écologistes. Tout le monde soupçonne tout le monde mais l’internaute mondial, accusateur et justicier, ne sait plus ni monter un meuble, ni bricoler, ni même faire du jardinage, préférant acheter dans les magasins bio, chers, mais « naturels ». Le citoyen moderne, hyperbranché sur les réseaux, avide de vitesse, et d’interaction dans un monde devenu tout petit, n’a de contact ni avec la nature, ni avec la matière et s’émeut devant cette nature en vitrine.

… La rationalité triomphante de la mondialisation, et des systèmes d’'information, ne sonne pas le glas des visions rurales et industrielles du monde, mais souligne au contraire l’importance de réintroduire de l’altérité, là où progresse la logique du même. C’est le statut de l’altérité dans l’anthropologie politique et culturelle à l’aube du XXIe siècle qui est en cause. Et le monde agricole permet ici un étonnant pied de nez à l’Histoire. Le secteur le « plus ancien », celui qui devrait être « réduit » à l’essentiel et se faire oublier, devient au contraire le symbole de l’altérité à retrouver, pas seulement sur le plan économique et social, mais aussi culturel et politique. Ceci pour que la mondialisation soit autre chose qu’un impossible, et violent, processus de standardisation et de rationalisation. Que le plus ancien devienne le symbole de ce qu’il faut préserver et à faire cohabiter avec d’autres valeurs de la société est une belle « revanche » symbolique. La communication, non plus comme un modèle hiérarchique de transmission de haut en bas, comme on le conçoit le plus souvent, mais au contraire, comme un processus constant de négociation pour que des visions contradictoires du monde, mais indispensables, puissent cohabiter... »

Dominique Volton

Et s'il n'y avait plus de paysans !

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« … Les évolutions que connaissent les territoires ruraux sont fortement corrélées à la distance aux agglomérations en lien avec l’intensité du déversement résidentiel mais aussi à l’activité économique indépendamment des enjeux proprement-agricoles qui restent structurants.

Il est donc très difficile d'aborder les défis posés à ces territoires en ignorant les spécificités inhérentes à chacun d’entre eux. Premièrement, le modèle de développement agricole reste décisif pour la trajectoire d’un certain nombre de ces espaces. Dans ce cas, l’économie agricole prédomine de sorte que l’évolution sera fortement conditionnée par celle de la PAC avec toutes ses incidences sur les exploitations. La questions pour ces territoires est de savoir quels types d'agriculture nous souhaitons maintenir. Les leviers décrits sont souvent externes à l'agriculture et ils sont largement politiques. Le Royaume Uni n'a pas souhaité conserver une forme d'agriculture classique. Le nombre d'exploitants est tombé à moins de 0,5% de la population active, avec de vastes domaines. On peut tout à fait imaginer dans le futur et dans le cadre de la mondialisation l’expansion d'une telle agriculture productive quasi agro-industrielle dominée par de grandes exploitations capitalistes conduisant au délaissement de la ferme familiale traditionnelle, qui est le pilier de la plupart des territoires ruraux.

Ensuite, il se dessine de plus en plus clairement un nombre important de territoires au sein desquels l’économie agricole se double de la valorisation d'atouts patrimoniaux. On s'appuie alors sur ce qui est de plus en plus communément appelé l'économie présentielle. Dans ce cas, l'essentiel de la stratégie consiste à attirer des personnes et leurs revenus afin qu'ils consomment sur place. Ainsi, les territoires du littoral, ceux qui possèdent des attraits touristiques et les zones situées en bordure des agglomérations sont très largement avantagés. Il ne faut pas se tromper sur l’intention des arrivants. Même si nombreux sont ceux qui s’installent par amour de la campagne, attachement au territoire d’accueil et rejet de la ville, dans la plupart des cas, plus on s’éloigne du cœur des villes, plus les revenus baissent, suivant en cela la diminution des coûts fonciers avec l’éloignement des centres.

C'est pourtant l'inverse en Angleterre où les populations les plus riches résident habituellement à la campagne sur le modèle du manoir. La tendance se vérifie au fil des études observant les stratégies résidentielles outre-manche : une résidence rurale est socialement très valorisée et valorisante, le Britannique cherche des paysages préservés, l’espace, la proximité de la nature. Les communes rurales sont donc traditionnellement peuplées de riches. Ce modèle aristocratique anglo-saxon (qu’on retrouve aux Etats-Unis) commence à se diffuser dans certaines communes rurales françaises et ailleurs en Europe. Cela va diversifier encore davantage nos espaces ruraux… »

Giles Laferte

Tensions

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« … Si l’environnement local des agriculteurs rassemble de plus en plus une majorité d’acteurs non agricoles, il s’y déploie également des réalités agricoles différentes. En effet, lorsque les agriculteurs ont encore un voisin agriculteur, ce dernier ne partage pas forcément la même vision du métier ni les mêmes logiques sur les plans technique, stratégique, ou patrimonial. Ainsi, à côté des formes d'agriculture traditionnelles, construites autour de la figure du chef d'exploitation et mobilisant une main-d’œuvre principalement familiale, se développent des formes entrepreneuriales diverses, pour certaines extrêmement financiarisées et abstraites où le personnel est majoritairement salarié. À côté d’une agriculture familiale de plus en plus sociétaire, se développent de nouvelles pratiques et formes d'organisations reposant sur des dispositifs de prestations intégrales du travail agricole (du labour à la récolte) et des tâches qui y sont associées (comptabilité, informatique, gestion patrimoniale...). La délégation « intégrale» de l'exploitation agricole dans toutes ses composantes offre les contours d'une nouvelle division du travail entre ce que l'on pourrait appeler des firmes de sous-traitance et un « dit exploitant » qui ne souhaite plus assurer la gestion d’un patrimoine familial souvent « en sursis ». Elle témoigne d'une inversion totale du rapport « travail et gestion salariale vs travail et gestion familiale ». Les nouvelles réalités de l’entreprise agricole qui ne s'incarnent plus forcément dans celles de l'exploitation agricole familiale sont aussi des réponses à de nouvelles contraintes technologiques et territoriales, et tendent à se développer notamment en périphérie des grandes agglomérations urbaines de l’Europe occidentale... »

François Purseigle

Reconstruire des espaces de savoir et de compétences

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« … Souvent précurseurs dans l'usage de l’outil informatique, de nombreux agriculteurs « surfent » sur les réseaux sociaux. On estime à 60 % aujourd'hui le taux d'exploitations professionnelles connectées.

Que ce soit dans un but professionnel ou personnel, ils maîtrisent désormais les outils qui leur permettent d'entrer en relation avec des personnes de tous horizons. Et les impacts de ces phénomènes ne sont pas à sous-estimer car ils participent activement à la redéfinition de leur environnement local, en accédant à une diversité d’espaces géographiques et virtuels. Le local n'est plus seulement l'espace où se tissent des liens sociaux à l’intérieur d'un groupe ou dans un voisinage. Les relations sociales se redéfinissent donc autour de nouveaux types de communications, permettant une ouverture sur le monde et participant à l'enrichissement des relations sociales. Le local peut aussi prendre la forme d'un espace numérique où règne la communication virtuelle. Ces nouvelles relations sociales participent de la volonté de dépasser le sentiment d’isolement et de solitude.

Sur un plan professionnel, il s'agit de construire des espaces de savoirs et de compétences alternatifs. Ainsi, les nouvelles générations d'agriculteurs se détachent volontiers de leur groupe de pairs locaux traditionnels au profit d'une communauté virtuelle où se partagent des expériences techniques variées. Ce détachement s'accompagne d'une réticence à l'égard des organisations plus formelles. À l'inverse de certains groupes institués où l'on ne retrouve pas cette écoute et démarche participative du conseil et de l’innovation techniques, ces réseaux informels offrent sur la « toile » des lieux d'expression partagée au service de la « Preuve » (co-construction de la preuve économique et/ou scientifique des choix qui ont été faits sur l'exploitation). L’individu devient ainsi juge de ce qu'il fait : chacun devient expert.

Ces réseaux sociaux sont également des lieux de réassurance identitaire. La technique devient dans un second temps un prétexte pour aborder d'autres sujets (notamment d’ordres sociaux). De la rencontre entre les enjeux sociaux et les enjeux techniques naissent des tentatives de réponses politiques qui nourrissent de nouvelles formes de mobilisation et de contestation. »

François Purseigle

De plus en plus seuls !

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« … Même à la campagne, les relations libres et affranchies prennent le pas sur les formes traditionnelles du lien social !

Les exploitations familiales, définies par l’engagement de tous les membres de la famille dans la mise en valeur de l’exploitation, régressent au profit des exploitations individuelles pour lesquelles seul le chef de famille est actif agricole. Ainsi, les agriculteurs apparaissent de plus en plus seuls dans l’exercice de leur profession.

La nouvelle donne agricole repose aussi sur la situation d’isolement et de vie solitaire vécue par bon nombre de jeunes agriculteurs et salariés de l'agriculture. Près du tiers des hommes chefs d’exploitation affrontent seuls les difficultés qu’ils rencontrent sur leurs exploitations. Cette situation est plus que jamais préoccupante. Les agriculteurs apparaissent de plus en plus seuls dans la réalisation de leurs activités, dans la prise de décision et l’exercice de la responsabilité professionnelle. Le portrait des agriculteurs français s'incarne moins dans celui d’un groupe que dans celui d’un individu seul sur son tracteur. L’image d’Épinal du couple agricole et de ses rites a bel et bien volé en éclats. L’individualisation de l'installation et du travail en agriculture a profondément déstabilisé le modèle familial défendu dans les années soixante par les agriculteurs « modernistes ». Le modèle de l’installation en couple fait place progressivement à celui de l'installation individuelle avec toutes les conséquences que cela comporte en termes de gestion du temps de travail, mais aussi en termes d’insertion socioprofessionnelle et donc d’engagement… »

François Purseigle

Barthélémy, Jean-Claude, Fabien

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Trois générations à la maison Choco Berria « le coin nouveau ».
Au retour de la guerre d’Algérie, Barthelemy défriche les terres, construit la maison familiale et son corps de ferme. Au départ, élevage de porcs, brebis, puis vaches blondes. Voilà comment commence l’histoire de la famille Aguerre à Juxue.
En 1990, son fils Jean Claude le rejoint sur l’exploitation. C’est le moment de l’agrandissement de surfaces, des troupeaux, de l’apparition des suivis techniques pour améliorer les rendements.
Puis 2017, à 21 ans, Fabien décide de s’installer. Passionné depuis toujours par les brebis il laisse les blondes à son père Jean Claude. 
Le lien d’une génération à l’autres s’est fait naturellement. L‘élan pour donner envie aux jeunes de rester au pays a été favorisé par un climat de confiance renouvelé   et surtout en laissant à chacun le temps d’écouter.